3

— Je n’ai que quelques minutes à vous consacrer, annonça le Sénateur Fyor Rodan.

Il s’assit – s’enfonça, plutôt – dans un fauteuil très moelleux, pendant que ses assistants allaient et venaient dans la suite de l’hôtel. Tous semblaient avoir un comlink soudé en permanence à leur bouche et tous paraissaient engagés dans plusieurs conversations en même temps.

— J’apprécie que vous acceptiez de prendre le temps de me recevoir, Conseiller, dit Luke Skywalker.

Il n’y avait plus d’endroit où s’asseoir. Chaque chaise, chaque table était couverte d’holoblocs, de datablocs, d’unités de stockage et de piles de vêtements. Luke se tint debout devant le sénateur et tenta de tirer le meilleur parti de cette situation peu confortable.

— Au moins ai-je réussi à convaincre le gouvernement Calamarien de prêter aux membres du Sénat un lieu pour se réunir, dit Rodan. Je craignais de devoir continuer à utiliser les salons de l’hôtel.

Tout en parlant, il pianota quelques chiffres sur son databloc, fit la grimace devant le résultat et composa les mêmes chiffres à nouveau.

En fait, le Sénat n’avait pas rétréci au point de se contenter d’une chambre d’hôtel pour se réunir confortablement. Certes, ses effectifs étaient beaucoup moins conséquents qu’ils ne l’étaient quelques mois auparavant. De nombreux sénateurs avaient réussi à ne pas se trouver sur la Planète Capitale au moment de l’attaque des Yuuzhan Vong. D’autres avaient été envoyés loin de Coruscant afin de créer une réserve de responsables politiques et d’éviter que tous ne se trouvent au même endroit lors de l’invasion. D’autres encore avaient, au plus fort de la bataille, réquisitionné des unités militaires pour pouvoir s’enfuir. Cependant, beaucoup étaient morts pendant les combats, avaient été capturés ou bien étaient portés disparus. Et puis, bien entendu, il y avait Viqi Shesh, qui était carrément passée à l’ennemi.

Fyor Rodan n’avait rien fait de tout cela. Il était resté à son poste jusqu’à la chute de Coruscant, n’ayant été évacué par les militaires qu’au tout dernier moment. Il avait d’abord rejoint le calamiteux Pwœ dans sa tentative de former un gouvernement, mais avait préféré, ensuite, gagner Mon Calamari lorsque le Sénat s’était reformé, invitant tous les conseillers à reprendre leurs postes. Son comportement avait été à la fois courageux et dicté par les principes. Il avait gagné l’admiration de beaucoup et on parlait à présent de lui comme d’un successeur possible de Borsk Fey’lya à la place de Chef de l’Etat. Malheureusement, Fyor Rodan était également un fervent opposant de Luke et du reste des Jedi. Luke avait demandé ce rendez-vous dans l’espoir de faire revenir Rodan sur ses positions ou, tout au moins, d’essayer de mieux comprendre cet homme.

Peut-être que l’animosité de Rodan à l’égard de Luke et de ses amis remontait au temps où Chewbacca, furieux, l’avait accroché à un portemanteau parce qu’il se trouvait en travers de leur chemin. Il circulait également des rumeurs sur le fait que Rodan s’était peut-être acoquiné avec des contrebandiers, qu’il disait du mal des Jedi parce que Kyp Durron avait jadis mené une action à rencontre de certains de ses associés. Mais ce n’étaient que des rumeurs, pas des faits. De plus, si on voulait vraiment condamner tous ceux qui avaient des amis contrebandiers, il aurait fallu condamner Luke des douzaines de fois…

— En quoi puis-je vous aider, Skywalker ? demanda Rodan.

Ses yeux se levèrent brièvement avant de se poser à nouveau sur l’écran du databloc.

— Ce matin, dit Luke, les médias vous ont cité. Il paraît que vous auriez déclaré que les Jedi sont un obstacle à la résolution de cette guerre.

— Je suis tenté de dire que c’est une vérité presque évidente, répondit Rodan. (Il conserva les yeux sur son databloc, pendant que ses doigts en pressaient les touches les unes après les autres.) A une époque, après tout, les Jedi étaient la cause de cette guerre. Les Yuuzhan Vong avaient insisté pour que vous leur soyez tous livrés. C’est bien un obstacle à la résolution de cette guerre, non ? A moins, bien entendu, que nous n’acceptions de vous livrer aux Yuuzhan Vong.

— Feriez-vous une chose pareille ?

— Si j’étais persuadé que ce faisant je pourrais sauver la vie de milliards de citoyens de la Nouvelle République, je considérerais certainement cette option. (Il fronça légèrement les sourcils.) Mais nous rencontrons à présent de bien plus sérieux obstacles sur le chemin de la paix que les Jedi eux-mêmes. Le plus flagrant étant que l’ennemi s’est installé sur les ruines de notre capitale. (Son visage se durcit.) Ça, et le fait que les Yuuzhan Vong ne s’arrêteront pas tant qu’ils n’auront pas asservi ou converti tous les êtres vivants de notre galaxie. Je suis opposé à toute négociation de paix avec les Yuuzhan Vong tant qu’ils n’auront pas évacué Coruscant et tous les autres mondes qu’ils occupent. (Ses yeux se levèrent à nouveau vers Luke.) Etes-vous satisfait de constater que je n’ai pas l’intention de vous sacrifier, Skywalker, vous et vos cohortes ?

Même si les paroles de l’homme se voulaient rassurantes, Luke avait un peu de mal à ressentir à leur écoute le moindre réconfort.

— Je suis heureux de savoir que vous n’êtes pas partisan de la paix à n’importe quel prix, dit-il.

Les yeux de Rodan retournèrent au databloc.

— Bien sûr, je ne suis que sénateur et membre de l’équipe de conseillers de l’ancien Chef de l’Etat, annonça-t-il. Une fois que nous serons dotés d’un nouveau gouverneur, je serai inévitablement forcé de soutenir des décisions que je n’approuverai pas. C’est ainsi que fonctionne notre gouvernement. C’est donc auprès du nouveau Chef de l’Etat que vous devrez aller chercher un peu de réconfort, pas auprès de moi.

— Selon certaines rumeurs vous pourriez bien être ce nouveau Chef d’Etat.

Pour la toute première fois, les doigts de Rodan hésitèrent au-dessus du clavier du databloc.

— Ma réponse est que les rumeurs vont trop vite, répondit-il.

Luke se demanda pourquoi cet homme persistait à se montrer si désagréable. Habituellement, un politicien en quête de soutien faisait en sorte de ne pas claquer la porte au nez de quelqu’un qui pouvait l’aider à accéder au pouvoir. Mais Rodan avait toujours suivi une ligne anti-Jedi, même lorsqu’il n’y avait aucun intérêt. Cela signifiait qu’il y avait autre chose en jeu. Peut-être que ces rumeurs de contrebande étaient fondées, après tout.

Luke insista.

— Et qui soutenez-vous pour le poste ?

Les doigts de Rodan se remirent à bouger frénétiquement.

— Chaque chose en son temps, dit-il. Vous me faites penser à un journaliste politique. Si vous souhaitez continuer dans cette voie, Skywalker, il vous faudrait peut-être penser à demander une carte de presse.

— Je n’ai pas l’intention d’écrire le moindre article. J’essaie simplement de comprendre la situation.

— Faites appel à la Force, dit Rodan. C’est bien ce que vous faites, vous autres, en général ?

Luke inspira profondément. Cette conversation lui évoquait un duel au fleuret. Des attaques suivies de parades, chacun des deux participants tournant autour d’une centre commun. Et ce centre… c’était quoi ? Probablement les intentions de Rodan concernant le futur des Jedi.

— Sénateur Rodan, dit Luke, puis-je me permettre de vous demander quel rôle vous souhaiteriez attribuer aux Jedi dans le développement de ce conflit ?

— Je serai clair, Skywalker, dit Rodan sans quitter son databloc des yeux. Aucun rôle.

Luke calma sa colère croissante face à l’impolitesse délibérée et aux réponses provocantes de Rodan.

— Les Jedi, dit-il, sont les gardiens de la Nouvelle République.

— Ah oui ? demanda Rodan en pinçant les lèvres et en relevant la tête vers Luke. Je croyais que nous avions pour cela les Forces de Défense de la Nouvelle République.

— Il n’y avait pas d’armée du temps de l’Ancienne République, répondit Luke. Seulement les Jedi.

Un demi-sourire barra le visage de Rodan.

— Ce qui n’a pas servi à grand-chose quand Dark Vador est arrivé, n’est-ce pas ? dit-il. En tout cas, la poignée de Jedi que vous commandez peut difficilement exécuter le travail qui incombait sous l’Ancienne République à des milliers de Chevaliers. (Le regard de Rodan se fit perçant.) Mais êtes-vous bien à la tête des Jedi ? Et si ce n’est pas vous, qui donc ? Et de qui dépend cette personne ?

— Chaque Chevalier Jedi est responsable devant le Code de l’Ordre. Ne jamais agir pour le pouvoir personnel, mais rechercher la justice et la sagesse.

Luke se demanda alors s’il fallait rappeler à Rodan que le conseiller s’était opposé à son désir de reformer le Conseil Jedi, qui aurait été en mesure de fournir aux Chevaliers directions et règles dans les actions qu’ils entreprenaient. Si les Jedi étaient si désorganisés, c’était en partie la faute de Rodan et il paraissait fort injuste qu’il s’en plaigne.

— De nobles paroles, dit Rodan. Mais que signifient-elles en pratique ? Pour la justice, nous avons la police et les tribunaux. Il est vrai que les Jedi semblent toujours enclins à rendre eux-mêmes la justice, souvent avec violence, au point d’entraver les démarches de la police. Pour la diplomatie, nous disposons d’ambassadeurs hautement qualifiés ainsi que de consuls dépendant d’un ministre d’Etat. Mais les Jedi – j’ajouterai même que certains ne sont guère plus âgés que des enfants – décident eux-mêmes de se lancer dans de complexes négociations qui finissent bien souvent en conflits, voire en guerres. Et, même si nous avons à notre service une armée très compétente, ce sont encore une fois les Jedi eux-mêmes qui président à la répartition des effectifs et ressources militaires, qui commandent eux-mêmes à nos propres officiers militaires et qui prennent eux-mêmes d’importantes décisions stratégiques militaires.

Telles que pourchasser les contrebandiers ? se demanda Luke. Il envisagea de lancer ce sujet sur le tapis, mais il se ravisa. Vu l’état d’esprit et l’humeur dans lesquels se trouvait à présent Rodan, il valait peut-être mieux ne pas lui rappeler pourquoi il détestait tellement les Jedi.

— Tout cela, c’est de l’amateurisme, continua Rodan. Au pire, les Jedi sont une bande de vengeurs masqués sous-entraînés. Au mieux, ils se contentent de bricoler les choses au fur et à mesure qu’elles se présentent, avec souvent des résultats plus que désastreux. Je ne crois pas que l’aptitude à exécuter des tours de passe-passe soit une qualification suffisante pour se substituer à des professionnels, qu’ils soient diplomates, juges ou officiers militaires.

— La situation est critique, dit Luke. Nous sommes envahis. Les Jedi qui se trouvent sur place…

— … devraient laisser les professionnels travailler, l’interrompit Rodan. C’est pour ça qu’on paie les professionnels, non ?

Rodan se tourna vers son databloc et y afficha des informations.

— J’ai votre dossier sous les yeux, Skywalker. Vous avez rejoint les forces de l’Alliance Rebelle en tant que pilote de chasseur. Même si vous êtes parvenu à vous distinguer lors des batailles de Yavin Quatre et de Hoth, vous avez, peu de temps après, déserté votre imité, emportant avec vous un chasseur stellaire ne vous appartenant pas afin de… (Il s’arrêta de lire pour dessiner dans les airs des guillemets appuyant sa citation.)… vous livrer à des « exercices spirituels » sur une sorte de planète couverte de jungle. Et vous avez fait tout ceci sans même en demander la permission à votre commandant. Ensuite, vous avez rejoint les rangs de l’armée, avez servi courageusement et avec distinction et avez atteint le grade de général. Mais vous avez de nouveau abandonné votre poste, en temps de guerre, pour faire vos dévotions. (Rodan haussa les épaules.) Peut-être que de telles pratiques irrégulières étaient nécessaires pendant la Rébellion. Peut-être qu’elles étaient tolérées. Mais, à présent que nous avons un gouvernement, je ne vois pas pourquoi nous devrions continuer à confier des ressources d’Etat à un groupe d’amateurs qui seraient bien trop contents de suivre l’exemple de leur Maître, d’abandonner leur poste parce que leur humeur – ou bien la Force – le leur demande…

Luke se contenta de rester immobile.

— Je pense que vous finirez par vous rendre compte, dit-il, que nos « exercices spirituels », comme vous les appelez, nous ont renforcés dans notre rôle de protecteurs de la République.

Rodan afficha un air moqueur.

— Mais, Skywalker, qu’est-ce que vous faites, exactement ? Vous n’êtes pas militaire, nous avons déjà une armée. Vous n’êtes pas diplomate, nous avons déjà des diplomates. Vous n’êtes pas juge, vous n’êtes pas gardien de la paix, nous en avons déjà. Alors, pour quelle fonction aurions-nous réellement besoin de vous ?

— Les Chevaliers Jedi, répliqua Luke, combattent les Yuuzhan Vong depuis le début de cette invasion – depuis la première heure, même. De nombreux Jedi ont été tués – certains ayant même été sacrifiés à l’ennemi par leurs propres concitoyens –, mais nous avons continué le combat au nom de la Nouvelle République. Nous avons été suffisamment efficaces pour que les Yuuzhan Vong prennent la décision de nous persécuter car ils ont peur de nous…

— Je ne remets pas votre bravoure et votre dévouement en question, dit Rodan. Je m’interroge sur votre efficacité. Si vous et les vôtres souhaitez combattre les Yuuzhan Vong, pourquoi ne pas rejoindre les rangs des Forces de Défense ? Pourquoi ne pas vous entraîner avec les autres soldats, accepter les promotions sur les mêmes bases qu’eux et accepter les punitions incombant à ceux qui manquent à leur devoir comme les autres soldats ? Les Jedi estiment bénéficier de privilèges et les officiers de l’armée régulière ont le droit de leur en vouloir pour cette raison.

— Si vous estimez que les Jedi sont une force indisciplinée et incontrôlable, demanda Luke, pourquoi s’opposer alors à la reconstitution du Conseil Jedi ?

— Parce que le Conseil Jedi formerait alors un groupe d’élite au sein même du gouvernement. Vous avez, vous-même, déclaré que vous ne cherchiez pas le pouvoir personnel – et je vous crois sur parole –, mais il me semble que d’autres Jedi n’ont guère fait preuve d’un altruisme aussi admirable. (Ses yeux se posèrent de nouveau sur Luke. Un regard glacé, tranchant comme le silex.) Votre père, par exemple… Si vous voulez combattre les Yuuzhan Vong, continua Rodan, conseillez à vos Jedi de s’engager dans l’armée. Ou bien dans toute autre branche gouvernementale qui pourrait convenir à leurs intérêts et talents. Ils pourraient, bien entendu, continuer à pratiquer leur religion en privé, comme les autres citoyens, sans pour autant faire partie d’un culte soutenu financièrement par l’Etat. (Rodan s’enfonça un peu plus profondément dans son fauteuil et reporta son attention sur son databloc.) Non, Skywalker, tant que vous ne vous joindrez pas à ce gouvernement que vous prétendez défendre, et ce sur les mêmes bases que les autres citoyens, je n’ai pas l’intention de vous considérer différemment de tous ces groupes de pression qui réclament des privilèges pour leurs membres. A présent… (Sa voix devint presque abstraite.) J’ai d’autres rendez-vous. Je pense que notre entrevue est terminée, Skywalker.

Pourquoi se comporte-t-il comme ça ? se demanda alors Luke en quittant les lieux.

 

— Il n’a pas arrêté de m’appeler « Skywalker », dit Luke. Tout simplement parce que je n’ai pas de titre. Je ne suis pas sénateur, je ne suis plus général, je n’ai rien d’un ambassadeur. J’avais l’impression qu’il utilisait mon nom comme une insulte.

— Il aurait pu t’appeler « Maître », comme je le fais parfois…

La voix de Mara Jade monta à ses oreilles comme un ronronnement voilé. Elle se glissa derrière lui et passa ses bras autour de sa taille. Luke sourit.

— Je ne pense pas qu’il l’aurait fait de la même façon que toi.

— Y a intérêt… Skywalker.

Luke sursauta lorsque Mara lui administra une claque sur l’estomac.

Mara avait attendu le retour de Luke dans la chambre de la vaste suite de l’hôtel qu’ils partageaient avec Han et Leia. Pendant son entretien avec Rodan, il avait été très calme, très observateur de la situation, mais en racontant l’entrevue à son épouse il s’était rendu compte qu’il n’avait plus de raison de garder son calme ou son objectivité. La colère qu’il n’avait pas ressentie pendant sa rencontre avec Rodan était en train de bouillonner en lui. Mara, sans faire le moindre commentaire, avait commencé à le masser pour chasser de ses épaules la tension croissante. La claque amicale sur l’estomac avait parachevé l’opération. Luke sourit à nouveau.

Il se tourna et passa ses bras autour de son épouse.

— Nous avons perdu Coruscant, dit-il. Nous combattons nos ennemis au jour le jour, les luttes de pouvoir et les querelles internes ne cessent pas. Rodan ne va pas nous faciliter les choses. Il pense que les Jedi prétendent à des privilèges injustifiés et que cela pourrait se transformer en menace pour l’Etat. (Il hésita.) Et le problème, admit-il, c’est que je commence à croire que ce qu’il dit est vrai.

— Eh bien… Plutôt déprimant, comme entretien.

Mara l’attira contre elle, posa sa joue sur son épaule et lança un petit chuchotement malicieux à son oreille.

— Peut-être que, pour te redonner le moral, je pourrais encore t’appeler « Maître ». Ça te dit ?

Luke ne put s’empêcher de rire. Depuis la naissance de leur enfant, Mara avait enfin échappé aux horreurs de la maladie qui l’avait affectée pendant si longtemps. Pendant des années, elle avait été obligée de se contrôler avec précision et détermination pour combattre le mal et empêcher qu’il ne la diminue trop. La naissance de Ben avait représenté une sorte de signal interne, indiquant qu’il lui était possible de ressentir à nouveau de la joie. De se sentir des responsabilités vis-à-vis d’autrui. D’être spontanée et impulsive. De pouvoir rire, jouer, profiter de la vie – cela malgré la guerre apparemment sans fin qui faisait rage tout autour d’elle.

Et, depuis que Ben avait été confié aux Maw pour sa sécurité, Luke était devenu le centre d’intérêt principal de Mara.

— Tu peux m’appeler comme tu veux, dit Luke. Si tu te sens d’humeur…

— Oh, je me sens d’humeur, je me sens vraiment d’humeur…

— Très bien, répondit Luke. Alors, ça me dit.

 

Quelque temps plus tard, Luke se tourna vers Mara.

— Et toi, comment s’est passée ta journée ? demanda-t-il.

— J’ai soif. Je vais me chercher un verre d’eau.

A contrecœur, Luke la laissa échapper à son étreinte et gagner la cuisine.

Mon Calamari grouillait de réfugiés, débarqués de mondes conquis ou menacés par les Yuuzhan Vong. Les logements dans les grandes cités flottantes étaient devenus hors de prix, particulièrement pour tous ceux qui avaient la fâcheuse habitude de ne respirer que de l’air.

Mara repoussa les longues mèches de ses cheveux flamboyants par-dessus ses épaules couvertes de taches de rousseur et but à grandes gorgées. Elle posa son verre, se tourna vers Luke et soupira.

— Journée besogneuse. Mais je pense que Triebakk et moi, nous avons enfin réussi à convaincre Cal Omas de se présenter en tant que futur Chef d’Etat.

— Félicitations à vous deux, dit Luke.

Au cours des dernières semaines, il s’était habitué à ce que leur vie, et leurs conversations, ne cessent de faire l’aller et retour entre la politique et les affaires personnelles.

Cal Omas avait combattu au sein de l’Alliance Rebelle et avait fait preuve de sympathie envers les Jedi. Il semblait évident que, de leur point de vue, il représentait un bien meilleur candidat au poste de Chef d’Etat que Fyor Rodan.

— Fyor Rodan aussi veut la place, dit Luke. Cette suggestion fut la seule chose qui suscita chez lui une réaction lors de notre entretien.

— Il y a deux autres candidats. Juste après ton départ, ce matin, le Sénateur Cola Quis a fait part de son intention de se présenter.

Luke essaya de rassembler ses souvenirs.

— Je ne vois pas qui c’est…

— Un Twi’lek de Ryloth. Membre du Conseil Commercial. Je ne crois pas qu’il ait la moindre chance, mais peut-être pense-t-il se constituer une confortable avance en commençant dès maintenant sa campagne.

— Et le quatrième ?

— Ta’laam Ranth, du Conseil de Justice. On raconte qu’il est en train de se tisser un réseau de sympathisants fervents.

— Il peut gagner ?

— Triebakk pense qu’il n’essaye même pas de gagner. Ranth essaye en fait de se constituer un groupe de soutien afin de jouer un rôle décisif au moment du scrutin. Il estime être ainsi en mesure de reporter les voix de ses électeurs sur un autre candidat, en échange de faveurs.

Luke secoua la tête.

— Bon, il reste au moins encore quatre sénateurs qui considèrent que le jeu en vaut la chandelle. Ce qui signifie qu’ils croient que la Nouvelle République a encore un avenir.

A moins qu’ils ne croient que l’avenir réside en un pillage en règle de la Nouvelle République avant que celle-ci ne sombre complètement. Cette sinistre pensée envahit l’esprit de Luke avant même que ce dernier puisse réussir à la contenir. Avec précaution, il repoussa cette option et décida d’engager la conversation sur une autre voie.

— La question, dit-il, est de savoir jusqu’à quel point nous pouvons nous impliquer dans cette élection.

— En tant que quoi ? Jedi ou citoyens ?

— Cela fait deux questions, répondit Luke en souriant.

Mara réfléchit quelques instants.

— Est-ce que cela servirait à quelque chose que Cal se présente comme le candidat soutenu par les Jedi ?

— Malheureusement, cette question est déjà réglée, soupira Luke.

— Ah bon ? A ce point-là ? demanda Mara, surprise.

— Je pense qu’il va bien falloir faire porter le chapeau de la chute de Coruscant à quelqu’un.

— Borsk Fey’lya semble le candidat idéal pour ça, non ? Il était Chef de l’Etat à l’époque et il a commis beaucoup d’erreurs.

— La bataille a fait de lui un martyr. Il est mort en héros. Politiquement, il est impossible de l’accuser.

Mara hocha doucement la tête.

— Alors, tu crois que ce sont les Jedi qui vont devoir en assumer la responsabilité ?

— Je crois que nous devrions veiller à ce que ce ne soit pas le cas. Le tout est de savoir comment. (Il tendit la main vers le verre de Mara et but une gorgée.) Si on nous voit nous mêler du choix du Chef de l’Etat, nous allons commencer à entendre des plaintes à propos d’« ingérence Jedi », de « prise du pouvoir par les Jedi » ou encore de « cabale secrète Jedi », de la part de Fyor Rodan ou d’un autre.

— Alors, agissons en tant que citoyens.

— Et ne faisons rien sans y avoir été invités par Cal Omas. C’est un professionnel. Il sait dans quelle direction agir et jusqu’à quelle limite.

C’est un professionnel. Luke sourit à l’ironie de la situation. Rodan lui avait conseillé de suivre les conseils des professionnels, et c’était exactement ce qu’il s’apprêtait à faire.

— Bon, dit Mara en souriant. Supposons que nous gagnions. Supposons que nous obtenions un gouvernement qui travaillerait en collaboration avec les Jedi…

— Ça fait beaucoup de suppositions…

— Qu’advient-il des Initiés ?

Luke marqua une pause. Pendant la bataille de Borleias, Mara et lui, ainsi que Han, Leia, Wedge Antilles et quelques autres, avaient formé cette conspiration des Initiés, une sorte d’Alliance Rebelle au sein même de la Nouvelle République, bien décidée à tenir tête aux Yuuzhan Vong.

— Nous ne devons révéler leur existence à aucun prix, dit Luke. N’en parlons pas à Cal, même s’il remporte les élections. Les Initiés, c’est notre base, ce sont les gens en qui nous pouvons avoir confiance. Ça doit rester un secret.

Et puis, soudainement, une pensée lui traversa l’esprit.

Jacen ! Le verre d’eau lui glissa entre les doigts et se fracassa au sol. Mara le dévisagea. Luke ne le remarqua pas. Un étrange bonheur venait brusquement de le submerger.

Maintenant, tout va changer, songea-t-il.

— Nous sommes à un moment charnière…

Les mots sortirent de sa bouche malgré lui. Tout en parlant, il se rendit compte qu’il ignorait, parmi toutes les étoiles de l’univers, d’où lui étaient venues ces paroles.

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